Suite aux déclarations d'Eric Chenut, président de la Mutualité Française, mettant en cause le montant des remboursements et du nombre de magasins d'optique en France, nous avons proposé à Didier Cohen, administrateur du Rassemblement des opticiens de France (Rof) et ancien président du syndicat, de réagir :

 

didier_cohen.jpegDidier Cohen : « Passer d'une prise en charge des équipements optique tous les 3 ans au lieu de 2 ans, c'est une annonce qu'on entend de manière récurrente.

  • Cela poserait d'abord un problème de santé publique, de dépistage et de suivi. Il est bien évident que si le délai de remboursement passe de 2 à 3 ans, la visite des Français chez les médecins va s'espacer, mécaniquement. 
  • Le deuxième point, c'est que, d'après la dernière étude Gallileo publiée en 2024, la moitié des porteurs (49%) renouvellent leurs lunettes avant 3 ans, soit avec une nouvelle ordonnance, soit pour une adaptation d'ordonnance, ce qui implique que la vue du patient ait évoluée.
  • Le troisième point : dans ce contexte de déserts médicaux où il faut parfois attendre des mois avant d'obtenir un rendez-vous chez l'ophtalmologiste et faire des dizaines de km, comment peut-on imaginer que les porteurs changent de lunettes simplement pour le plaisir ? Cela parait peu probable, non constaté et non documenté.
  • Quatrième point : l’argument de la fraude qui est évoqué par Eric Chenut ne résiste pas à l’analyse. Les complémentaires affirment vouloir lutter contre la fraude mais refusent la solution de traçabilité et de conformité que le Rof leur a présenté. Les Ocam cherchent visiblement d'autres solutions qu'elles pourraient piloter sans une profession partie prenante.

Il y a de la fraude dans l'optique comme il y en a dans d'autres filières de santé, qu'il s'agisse de l'audio, des infirmiers, des transports médicaux, des pharmaciens...dont le montant des fraudes est extrêmement élevé comparé à l'optique. En parler comme le fait la Mutualité, cela provoque un préjudice réputationnel regrettable.

  • Rappellons que toutes les politiques qui ont cherché une maîtrise comptable des dépenses de santé n'a conduit qu'à moins de professionnels de santé, moins de dépistage, moins de suivi, et un système de santé qui se dégrade. Limiter l'accès aux équipements optiques, de facto, c'est un mauvais point pour la santé des Français.
  • En dernier lieu, c'est faux de dire qu'il y a de la surconsommation de lunettes. C'est faux pour une raison très simple. Depuis 2018 et la réforme du 100% Santé, on est passé d'un remboursement tous les ans à tous les 2 ans. Parallèlement, on a limité les garanties montures à 100 € maximum, au lieu de 150 € auparavant. Il y a aujourdhui un grand écart au niveau des prix des montures. Il y a quelques années, la fourchette de prix s'étalait en moyenne entre 80 et 250 €. Aujourd'hui, on atteint plutôt les 500 €, alors que la prise en charge n'a jamais été aussi faible. Les consommateurs qui seraient susceptibles de s'offrir des lunettes de marque ont un reste à charge très important, et dissuasif. J’ajoute, et les derniers chiffres de la Drees le montrent, que c’est une augmentation du nombre de porteurs qui alimente la croissance du marché et non l’augmentation des prix
  • C’est également inexact de dire qu'il y a trop d'opticiens. Je pense que le marché est bien fait. Aujourd'hui, il y a des opticiens de villages, des opticiens de zones rurales, de zones très peu peuplées qui travaillent peu mais qui offrent un service indispensable, sans faire un chiffre d'affaires conséquent. Mais c'est un professionnel de santé indispensable, disponible au quotidien, qui joue aussi le rôle de sentinelle pour constater une évolution de l'acuité visuelle et rediriger le patient vers un centre d'ophtalmologie.

Quand Eric Chenut prend l'exemple des USA (dans une interview radio sur RMC le 14 avril, NDLR), il faut savoir que ce n'est pas un pays de référence. C'est un pays où la moitié des presbytes portent des doubles foyers. Est-ce qu'on veut un marché de l'optique dépassé avec des produits moins confortables et moins performant comme aux USA, ou bien des équipements de pointe fabriqués par des industriels d'excellence comme en France ?