Publié ce mois-ci aux éditions Dunod, « Complémentaires santé : le scandale » a pour ambition de répondre aux interrogations des Français en matière de financement de notre système de santé, plus particulièrement via les Ocam. Après lecture, Acuité vous en livre un résumé. Retrouvez également l'interview vidéo de son auteur, Frédéric Bizard, réalisée par les éditions Dunod, et son intervention sur BFM Business, ce lundi 21 octobre.
Avec ce livre, Frédéric Bizard, économiste de la santé et maître de conférences à Sciences Po Paris*, met un coup de pied dans la fourmilière en dénonçant « un système injuste, coûteux et inefficient » alors que les décisions politiques actuelles tendent à changer considérablement la paysage de la complémentaire santé. Rappelons que les organismes complémentaires financent près de 14% de la consommation de soins et de bien médicaux en France (36% pour l'optique). Pour Frédéric Bizard, cette intervention du secteur privé dans la couverture de soins de base reste une spécificité française : « dans la plupart des autres pays européens, les assureurs privés uniquement jouent un rôle d'assureurs supplémentaires pour des soins non essentiels ». On peut penser ici que l'auteur fait allusion aux lunettes et lentilles de contact.
Ocam : « un marché où règne l'opacité »
Dans son livre (chapitre 2), Frédéric Bizard pointe avant tout du doigt un marché où « opacité » est le maître-mot. « Le secteur des complémentaires santé a conservé des résultats financiers satisfaisants (33 milliards d'euros de CA en 2010) malgré une hausse de la fiscalité et la crise financière de 2008, explique-t-il. Ce résultat provient davantage d'une politique de hausse continue des primes que d'une réduction des charges de fonctionnement. A l'exception des instituts de prévoyance, les mutuelles et les sociétés d'assurance ont systématiquement augmenté les primes des contrats pour absorber leurs hausses de charges et maintenir une rentabilité suffisante. De 2006 à 2010, les cotisations des complémentaires santé ont augmenté de plus de 20% alors que le revenu disponible brut des ménages augmentait de 8%. Les frais de gestion (ressources humaines, frais généraux et administratifs, gestion des prestations) et d'acquisition (fidélisation et conquête des clients) sont en constante augmentation et atteignent la somme de 7,3 milliards d'euros en 2010, soit 22% des cotisations ». Il constate par ailleurs que « ce sont les mutuelles qui affichent les frais de gestion les plus élevés avec 16% des cotisations consacrés à ce poste, contre 14% pour les assurances et les instituts de prévoyance. Les coûts ne font qu'augmenter malgré la révolution numérique ». Le Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) avait déjà classé les complémentaires santé comme un des vingt produits et services ayant le plus affecté le pouvoir d'achat des ménages entre 2000 et 2005. Après l'optique, c'est désormais sur le sujet des Ocam que les langues se délient. Quand les journalistes en feront-ils la Une de Que Choisir et un sujet au 20 Heures ? ( voir l'interview de Frédéric Bizard ce jour sur BFM Business)
Remboursements : « des garanties trompeuses »
Les Ocam abreuvent les Français de campagnes publicitaires mettant en avant des promesses de remboursements peu compréhensibles. Derrière les chiffres annoncés par les complémentaires « se cachent souvent quelques euros seulement de remboursement sur les centaines d'euros de dépenses santé de l'assuré, souligne Frédéric Bizard (chapitre 3) qui prend notamment l'exemple de l'optique pour illustrer son propos. Ainsi, « l'achat d'une paire de lunettes simple revient environ à 200 euros dont l'assurance maladie rembourse seulement 4,82 euros (65% d'une base de remboursement de 7,42 euros). Les 150% annoncés par la mutuelle vont correspondre en fait à une prise en charge de 6,30 euros pour une dépense de 200 euros, soit 3% de cette dernière. Les 200% vont eux représenter 10 euros, soit 5% de la dépense ». Conclusion, pour Frédéric Bizard, « l'utilisation de pourcentages de sommes dérisoires et méconnues des Français, que sont les bases de remboursement des actes et biens médicaux, donne une fausse impression aux assurés de leur couverture actuelle ».
Généralisation des contrats collectifs : « une fausse bonne idée »
Revenant également sur la généralisation de la complémentaire santé d'entreprise d'ici le 1er janvier 2016, prévue par la loi sur la sécurisation de l'emploi, Frédéric Bizard estime qu'il s'agit là d' « une fausse bonne idée » (voir son interview vidéo ci-dessous). Selon lui, « la généralisation est déjà faite, puisque 96% de la population est couverte par une complémentaire santé. En généralisant les contrats collectifs, on peut craindre une baisse de qualité. On a déjà vu qu'à peine 6 mois après la signature de cet accord, on a décidé de fiscaliser la part employeur de ces contrats ce qui va réduire leur rentabilité de façon très sensible ». Autre injustice ici : « plus vous êtes à un poste élevé dans l'entreprise mieux vous serez protégé ».
Réseaux : les Ocam seraient-ils des acheteurs de soins ?
Dernier chapitre de son livre, Frédéric Bizard évoque les réseaux de soins et la PPL Le Roux, toujours en attente d'une deuxième lecture à l'Assemblée nationale (lire notre news du 17/10/2013). Selon lui, « les réseaux de soins mutualistes sont une menace pour les valeurs de notre système de santé. Ils s'inscrivent dans la volonté des organismes complémentaires d'améliorer leur gestion du risque et de limiter l'asymétrie de l'information. Fondés sur le modèle du « managed care » américain avec le système des « Preferred Provider Organization (PPO) » (voir notre plateau sur le Silmo 2013), les Ocam souhaitent se positionner en « acheteurs de soins », négociant des conditions tarifaires avantageuses pour leurs assurés ». Cependant, Frédéric Bizard note que « plus de 10 ans après le lancement des premiers réseaux d'opticiens, l'accès aux soins sur le secteur s'est plutôt dégradé si on en juge par le taux de renoncement aux soins pour des raisons financières qui ne cesse d'augmenter » (lire notre news du 16/10/2013).
En conclusion, pour l'auteur, « il y a urgence à restructurer ce marché de l'offre ou règne l'opacité. Le demandeur n'a aucun levier d'actions pour choisir son produit. Il faut rendre tout cela beaucoup plus transparent y compris dans la gestion des mutuelles, pour que les assurés choisissent leur complémentaire en fonction de leurs besoins et que l'accès aux contrats complémentaires soit égalitaire ». Cependant, l'auteur craint « que cette restructuration ne sera pas suffisante. L'ensemble du système de santé doit être réformé ».
*Economiste de la santé et maître de conférences à Sciences Po Paris, Frédéric Bizard travaille depuis plus de quinze ans dans la santé aux États-Unis et en Europe, en étroite collaboration avec le monde médical. Il est aujourd'hui un spécialiste reconnu des questions de santé en France. Il dirige actuellement la société Salamati Conseil, société de conseil spécialisée sur les questions de santé publique et de stratégie d'entreprise sur le secteur de la santé.