En marge de l’assemblée générale de Krys Group, acuite.fr a interrogé Jean-Pierre Champion, directeur général. L’occasion de revenir sur une année 2020 synonyme de baisse de chiffre d’affaires au cours de laquelle Krys Group a néanmoins gagné en parts de marché. Mais aussi sur les défis à venir pour le groupe coopératif.
À quel niveau d’activité s’est terminée l’année 2020 pour Krys Group ?
En ayant fermé pendant deux mois, nous avons fini l’année à -9,5% par rapport à 2019, avec un résultat contrasté selon les enseignes : Krys est à -10%, Vision Plus à -5% et Lynx Optique à -15%. Il s'avère que les magasins de proximité, comme ceux de Vision Plus, connaissent un trafic plus important pendant ce contexte pandémique quand Lynx Optique, souvent situé en centre commercial, a subi de plein de plein fouet les fermetures. C’est une baisse conséquente, mais les chiffres montrent un gain en parts de marché, de 15,4% à 15,8%.
Et nous avons amorti le choc de la baisse de CA des magasins au niveau industriel : Codir finit l’année à seulement -5%. La raison : nous avons limité le recours à la sous-traitance pour saturer les capacités de production de notre usine de verres de Bazainville. Ce qui nous a été bénéfique compte tenu des difficultés de livraison lors de la reprise en sortie du premier confinement. Notre stratégie de producteur-distributeur s’est avérée payante.
Quels autres enseignements tirez-vous de cette année particulière ?
On s’est rendu compte que la prise de rendez-vous était une pratique à conserver une fois la pandémie passée. Nous sommes montés par moments à 80% de nos ventes optiques sur rendez-vous, voire même certains jours à 100%. Il est souhaitable que, dans le futur, notre rythme de croisière s’établisse à 50%.
À nous de montrer que nous sommes capables de le maintenir. En tous cas, les clients comme les équipes y ont trouvé leur compte. Cela a été une leçon pour nous. La vente via rendez-vous ne fait pas perdre de chiffre d’affaires et n’augmente pas le reste à charge, mais fait gagner en sérénité.
Ensuite, nous avons remarqué que la productivité des magasins pouvait être stretchée, avec des périodes de rush comme en octobre ; des périodes où, avec 100% des équipes, les magasins ont réalisé 120% du chiffre d’affaires. Nous avons su être résilients et nous adapter rapidement. Pour cela, le modèle coopératif apporte un avantage.
Comment se relever d’une telle période ?
D’abord, nous avons fait ce qu’il fallait faire pour les associés : suspension des cotisations, allongement des délais de paiement, révision des conditions d’achat, etc. Nous avons encouragé nos associés à contracter un PGE. Krys Group en a aussi contracté un important. Au printemps, nous avons anticipé d’une semaine la réouverture de notre usine et, de ce fait, nous étions en pleine capacité dès le 1er jour.
Nous avons ensuite mis en place un « plan Marshall » pour être présent au moment du rebond, en réinvestissant dans les façades, dans l’augmentation de nos capacités industrielles, mais aussi dans les mises sur le marché d’innovations dont Signature Krys, qui réinvente le parcours d’achat en magasin d’optique.
Faut-il s’attendre à d’autres changements chez Krys Group ?
Les enseignes vont évoluer. Il nous faut une enseigne au positionnement prix très marqué. C’est le cas avec Lynx You Do, qui affiche un panier moyen divisé par deux en s’appuyant sur des partis pris forts : pas de tiers payant ni de 2e paire à un euro, etc. Le client paye moins cher en contribuant lui-même davantage à l’acte d’achat avec à la clé moins de temps passé chez l’opticien. Un plan de migration est prévu de Lynx Optique vers Lynx You Do et s’étalera jusqu’en 2025.
Vision Plus va devenir le « Collectif des Lunetiers », avec un plan de migration sur environ 18 mois. Les associés disposeront de deux concepts magasins clé en main ainsi que d’un un cahier de tendance pour développer leur propre concept sur-mesure, s’ils le souhaitent. Ils auront à cet effet un degré de liberté dont ils ne bénéficiaient pas auparavant.
Cette liberté en matière de concept magasin ira de pair avec une liberté de positionnement entre mass market et marché de niche type créateur, mais toujours au service de l’ultra-proximité. L’objectif de ce nouveau modèle est d’élargir la cible à une clientèle habituellement séduite par les magasins indépendants, fuyant les enseignes perçues comme trop nationales ou trop uniformes.
Malgré le contexte, nous avons ouvert 32 magasins en 2020, et nous espérons en ouvrir le double cette année. Nos associés sont très dynamiques. Côté Krys Audition, nous avons 176 espaces et en aurons ouvert 200 d’ici la fin d’année. L’avantage est qu’il n’y a pas besoin d’ouvrir des centres dédiés à l’audioprothèse, mais seulement des espaces audio intégrés dans les magasins d’optique. Le 100% Santé en audio, véritable vecteur de démocratisation de ce marché, est une chance pour nous car cela représente 40% des ventes depuis le début de l'année, contre seulement 15% en optique, où la réforme ne génère pas de volume supplémentaire. Mais nous jouons le jeu car nous nous sommes engagés pour la réussite de la réforme, et nous ne voulons pas perdre le moindre client.
Voyez-vous la téléconsultation comme un enjeu majeur pour l’avenir de la filière ?
Oui, nous y croyons pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’on l’a testée avec un protocole. Au lieu d'attendre 4 mois pour obtenir son ordonnance, on l’obtient en 10 jours. Ensuite, 2020 a montré que la téléconsultation est une voie d’avenir. Les recommandations du rapport Igas sur le sujet devraient enfin permettre d’aboutir. Avec le Rof, nous souhaitons que le prochain PLFSS intègre la téléconsultation dans la filière visuelle en s’appuyant sur l’ophtalmologiste et sur l’opticien.
Nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt les « procès en sorcellerie » intentés contre les acteurs de l’optique pionniers en la matière. Mais les différents protocoles ont bien en commun d’avoir l’ophtalmologiste comme seul prescripteur. On ne peut rien faire sans lui, et nous ne souhaitons pas que cela change : il est au centre de la filière visuelle et l’opticien sera toujours à son service. Mais nous devons utiliser les outils modernes.
-"Il nous faut une enseigne au positionnement prix très marqué" :
Le nouveau positionnement de Lynx (avec Lynx You Do) revendiquera clairement qu une partie du coût des lunettes, "la moitié du panier moyen", vient de la main d oeuvre mise à disposition. Et invitera les français au Do It Yourself pour diminuer leur facture. Je trouve très bien qu enfin on pointe cette composante du cout des lunettes là où un Paul Morlet explique sur tous les médias qu'il délivre le même résulta que les opticiens.
- "Avec le Rof, nous souhaitons que " : on voit le degré d influence de l enseigne au sein du RoF...
-"Avoir l’ophtalmologiste comme seul prescripteur. On ne peut rien faire sans lui, et nous ne souhaitons pas que cela change."
Krys revendique indirectement ne pas vouloir développer chez les opticiens de nouveaux modes de rémunération autour des compétences de l opticien. Il vaut mieux (pour Krys Group ?) le garder sous la dépendance de compétences externes et de services complexes fournis par son enseigne. Ainsi le propriétaire du magasin ne développe un résultat financier que sur l activité de vente de produits que nécessairement il achètera toujours plus auprès de sa centrale.
Pourtant développer un activité rémunérée de manières non négligeables (que penser du plafonnement de la prestation d adaptation à 10€ validé par le RoF quand les orthoptistes ont une cotation à 24€ !?) est un moyen de faire face à la baisse des prix de vente des lunettes qu induisent les ocam d un côté et le 100% santé d autre part.
Je pense que la stratégie des enseignes est avant tout à leur avantage et non à celui des opticiens.
Si on les suit, les opticiens devront faire plus de volumes avec un "stretching" de leur productivité. Et ces volumes seront à bas prix les rendant très dépendants des conditions de leur centrale d achat. Et ces bas prix permettront d amener à la faillite les petits magasins pour générer davantage de volumes. La production d ordonnances au fond des magasins par des plateaux techniques couteux de telemedecine sera un moyen supplémentaire d écraser ces petits magasins qui ne pourront payer de telles plateaux et qui verront les ordonnances habituelles être détournées de leurs magasins.
Le monde de l optique change à toute vitesse et nous devons accompagner ces changements. Mais plusieurs voies existent et j invite les opticiens à bien réfléchir à quel syndicat ils adhèrent. Les syndicats ont des intérêts communs de défense des opticiens mais pas sur tous les points : les buts suivis ne sont pas tous les mêmes...
Ceux qui continuent à n'adhérer à rien seront également responsables de l avenir qui se dessine en laissant le champ libre à d autres influenceurs.