Organisé à Nice les 28 et 29 juin dernier, le 28e congrès Ophta News proposait un grand débat traitant de la télémédecine en ophtalmologie, avec une dizaine d'intervenants aux activités différentes mais toutes liées à la santé visuelle et sa prise en charge : 

  • Dr Assouline Michaël, ophtalmologiste (Paris)
  • Dr Esther Blumen, ophtalmologiste, représentante du syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof)
  • Dr Ghenassia Charles, ophtalmologiste (Nice)
  • Dr Ghipponi Jean-Pierre, ophtalmologiste (Marseille)
  • Thierry Jean-Pierre, conseiller médical France Asso Santé
  • Piermé Jean-Pascal, président de l'association Les Entreprises de Télémédecine (Let)
  • Me Savoy-Nguyen Mélissa, avocate du cabinet Pudlowski-Savoy (Paris)
  • Haaz Stéphan, DG du Think Tank Téléophtalmologie Catel (Vannes)
  • Thaëron Thibaud, président de l'Association des optométristes de France (AOF)
  • Teller Laurent, directeur santé et partenariats d'Itélis (Paris)
  • Franck Le Neve, consultant en management de cabinet médical (Vitré) 

Le débat était animé par Nancy Cattan, journaliste et cheffe du service santé du groupe Nice Matin. Elle rappelle en préambule que « Tout ce qui est débattu aujourd'hui n'a qu'un seul objectif, améliorer l'accès aux soins des patients ». 

 

Définir la notion de territoire

Jean Pascal Piermé (Les Entreprises de Télémédecine) : « La territorialité est un sujet clef en santé numérique. Il faut pouvoir commencer le parcours de soins à l'échelle territoriale la plus petite puis élargir géographiquement si l'offre de soins physique n'est pas suffisante. C'est là que la télémédecine doit pouvoir intervenir, à condition de transmettre l'information aux professionnels de santé du territoire du patient. Encore faut-il que cette notion de territoire soit clairement définie. C'est le patient finalement qui va définir ce qu'il est prêt à accepter ou non. 

 

Apporter de la souplesse dans les modalités d'exercice

Stéphan Haas (Catel) : « Il ne faut plus opposer médecine et télémédecine. Dans un contexte de tension démographique, les besoins des patients en santé visuelle sont nombreux et divers, et c'est la raison pour laquelle il est important d'apporter de la souplesse dans les modalités d'exercice des professionnels. Cela appelle à développer les collaborations pluridisciplinaires pour permettre non seulement une meilleure prise en charge des patients, mais aussi une montée en compétences de tous les professionnels impliqués.

Il y a un consensus sur la difficulté d'accès aux soins de certaines classes d'âge : 

  • pour les enfants,
  • pour les plus de 50 ans
  • et de façon très sensible, en EHPAD
  • et sur la nécessité d'optimiser le suivi des malades chroniques (DMLA, glaucome, rétinopathie diabétique)

Il faut mener une réflexion agnostique sur comment s'appuyer sur le maillage territorial très important des opticiens. 

 

La technologie pour favoriser les collaborations

Me Mélissa Savoy (avocate) : « Le développement des technologies numériques médicales est allé beaucoup plus vite que la législation qui l'encadre, ce qui créé de la peur, des risques et des problèmes d'interprétations. On constate qu'en 2024, on n'assiste pas à une recrudescence des contentieux liés à la télémédecine. Le Cnom par exemple ne voit pas d'inconvénient à ce que des cabines de téléconsultation soient installées dans une officine de pharmacie ou un magasin d'optique puisque le médecin exerce dans son cabinet médical et non dans un local commercial. L'Ordre des dentistes, lui, n'est pas favorable à l'installation de cabines dans un cabinet dentaire puisqu'il considère qu'il y a un risque déontologique. 

Il n'empêche qu'aujourd'hui, il existe des machines capables de favoriser des collaborations entre des professions chez lesquelles il y a de la défiance, comme entre les ophtalmologistes et les opticiens. 

 

La télémédecine peut être un levier de maîtrise des dépenses

Laurent Teller (directeur santé Itélis) : « La téléophtalmologie pourrait être complémentaire au parcours de santé en présentiel. Du point de vue du patient, elle peut être considérée comme positive. Du point de vue d'Itélis, la télémédecine peut être un levier de maîtrise des dépenses.

Le cas d'ophtalmo.io est emblématique d'une dérive qu'il faut à tout prix empêcher. Il faut aider les assurés à se diriger vers l'offre de soins qui leur correspond le mieux. 

Pour l'heure, nous ne valorisons pas auprès de nos assurés la télémédecine lorsqu'elle est réalisée dans un magasin d'optique partenaire, en raison des risques de fraude lorsqu'un prescripteur est également délivreur. Et si il y a une augmentation du nombre de délivrances de lunettes, il y aura une hausse des cotisations des Ocam ». 

 

Des risques de fraude prescripteur/délivreur, sauf chez les médecins

Dr Esther Blumen (ophtalmologiste, Snof) : « Le Snof n'est pas opposé à une télémédecine qui respecte le cadrte légal. Je pense qu'il est possible d'accorder ensemble les violons des 3O pour assurer une bonne prise en charge du patient. En revanche, il y a fatalement un conflit d'intérêt pour ceux qui sont à la fois prescripteurs et vendeurs. Il est également important de conserver une continuité des soins sur un territoire donné pour les patients qui nécessitent un rendez-vous physique. 

Quand un médecin prescrit une chirurgie ou une prothèse, c'est qu'elle est nécessaire. Lors d'une chirurgie réfractive de confort, il y a bien sûr un intérêt commercial, mais c'est acté, transparent, il y a un accord bilatéral, il n'y a pas à discuter là-dessus ». 

 

« Nos compétences s'arrêteront à la porte des blocs »

Dr Jean-Pierre Ghipponi (ophtalmologiste) : « De mon temps, les ophtalmo s'occupaient des yeux, et les opticiens des lunettes, c'était très clair. Et les optométristes ne devaient pas exister. Puis on a eu l'impression que les choses dérapaient : des optométristes se sont mis à travailler en cabinet, les opticiens ont voulu avoir davantage de compétences médicales, certainement de manière légitime, jusqu'à ce que j'en entende certains dire : "nos compétences s'arrêteront à la porte des blocs". 

Je pense aujourd'hui que les opticiens n'ont pas à faire de médecine, mais ça n'empêche pas qu'on travaille ensemble. Dans 90% des situations, la relation entre ophtalmos et opticiens fonctionne très bien ». 

 

Ce n'est pas une offre de soins comme une autre

Dr Charles Ghenassia (ophtalmologiste) : « Le problème vient du fait que certaines régions sont sous-médicalisées. La télémédecine dans ces zones, pourquoi pas ? En revanche, il ne faut pas la généraliser comme si c'était une offre de soins comme une autre ». 

 

La téléexpertise doit rester une solution d'appoint

Thibaud Thaëron (président de l'AOF) : « Pour améliorer l'accès aux soins visuels, les ophtalmos se sont d'abord appuyés sur les orthoptistes. Mais ces derniers se sont installés dans les mêmes zones que les ophtalmos. Les jeunes ophtalmologistes s'installent en ville, quand dans les zones rurales on a surtout des ophtalmos de plus de 65 ans, selon les derniers chiffres du Snof. Le dernier professionnel de santé qu'on n'a pas sollicité pour améliorer l'accès aux soins, c'est l'opticien, alors que c'est lui qui a le meilleur maillage territorial, en ville comme à la campagne. 

Dans les cabinets où je travaille, 70% des consultations débouchent sur une prescription de lunettes, qui sera traitée par un opticien. L'opticien est le collaborateur n°1 de l'ophtalmologue, dans l'intérêt du patient. Nous sommes reconnus pour nos connaissances en matière de réfraction et du fonctionnement du système optique, en basse vision, en contactologie...au-delà, les opticiens sont les professionnels de santé qui se déplacent le plus en Ehpad et chez les personnes dépendantes. La téléexpertise doit rester une solution d'appoint ». 

 

Nous n'aurons pas de solution unique

Franck Le Neve (consultant management ophtalmologie) : « Je confirme que nous n'aurons pas de solution unique pour améliorer l'accès aux soins. En testant la téléconsultation dans nos 35 cabinets, nous avons constaté la diversité de notre territoire. Par exemple, sur Rennes, nous n'avons eu aucune demande des patients, parce qu'il est possible d'avoir un rendez-vous physique suffisamment rapidement. En revanche, à Montbéliard, l'agenda de télémédecine était plein tous les jours, comme un cabinet classique ». 

 

Rationnaliser l'accès à la filière de soins visuels

Dr Michaël Assouline (ophtalmologiste) : « En dehors des 3O, il y a de nouveaux intervenants qui sont technologiques. On a aujourd'hui des agents conversationnels, des machines, de l'IA. Ces intervenants vont compléter l'offre de soins, à condition qu'on ait la bonne articulation entre les moyens humains et les moyens technologiques pour offrir les meilleurs soins possibles au meilleur coût possible. En Allemagne et en Espagne, nous avons fourni notre robot conversationnel à d'importantes structures de soins ophtalmologiques : ce robot effectue un pré-diagnostic qui permet de rationnaliser l'accès à la filière de soins et d'orienter le patient vers le professionnel le plus adapté et d'éviter les examens redondants, inutiles et coûteux ».

 

Faire émerger ces nouvelles organisations

Jean-Pierre Thierry (président France Asso Santé) : « Pour favoriser l'égalité d'accès aux soins, dans les territoires défavorisés, il faut des actions rapides. On ne peut pas attendre le rebond démographique des ophtalmologistes en 2035. Les patients ont souvent l'impression que les professions médicales défendent leurs propres intérêts, notamment économiques, plutôt que les territoires et les patients qui s'y trouvent. Les logiques corporatistes empêchent de voir émerger de nouveaux modèles. Ce n'est pas la technologie qui fait défaut, la téléophtalmologie existe depuis 40 ans. Ce qui manque, c'est une autre organisation du travail. Il faut des leaders et pionniers sur le terrain qui viennent faire émerger ces nouvelles organisations d'accès aux soins ».