AC : Comment expliquer cette prolongation de l'expérimentation des opticiens en Ehpad ?
Matthieu Gerber, président du Road* : Cette prolongation reflète un manque de décisions politiques sur des sujets pourtant cruciaux pour la santé visuelle des populations fragiles. D'ici 2050, la France pourrait compter 4 millions de personnes de plus de 60 ans en perte d'autonomie contre 2,5 Millions aujourd'hui. En 2 ans et demi, 7 ministres de la Santé se sont succédés, freinant les réformes nécessaires.
Malgré ce contexte, les opticiens spécialisés en mobilité ont démontré, au cours des trois dernières années, que la présence d’un opticien auprès des publics vulnérables apporte des résultats probants : après le passage de l'opticien, en moyenne près d’un résident sur trois a pu bénéficier d'un nouvel équipement correcteur adapté à sa vue alors même que 38 % des résidents en EHPAD présentent des défauts visuels et ne disposent pas d'équipements correcteurs adaptés. Cette prolongation est donc une opportunité pour consolider les preuves et ainsi répondre à des besoins croissants qui restent, pour l’instant, largement insatisfaits sur tout le territoire.
Cette expérimentation mériterait de s'ouvrir à tous les lieux de vie : il y a plus de personnes en perte d'autonomie pris en charge à domicile qu'en Ehpad et plus de 500 000 personnes sont en situation de handicap dans des structures médico-sociales.
Cependant, l'inaction des autorités soulève des doutes sur leur volonté de garantir un accès équitable aux soins optiques, alors que les enjeux de santé publique sont évidents.
AC : Est-ce une bonne nouvelle ?
MG : Cette prolongation offre l’occasion de continuer à démontrer la pertinence des déplacements d’opticiens directement sur les lieux de vie des patients, ainsi que la faisabilité de réaliser des examens de réfraction en dehors des magasins. En 2025, tous les opticiens poursuivront leur engagement pour une année supplémentaire, malgré l’absence de financement ou de valorisation.
Néanmoins, cette prolongation aurait pu être l'occasion de lever certaines limites économiques et organisationnelles identifiées depuis trois ans : absence de bilan médical complet et absence d'ordonnance donc un reste à charge de 100% pour le patient. Notre proposition : faciliter l’accès aux médecins ophtalmologistes en autorisant la délégation de compétences à l'opticien pour leur permettre de réaliser en plus de l'examen de la réfraction des examens complémentaires (pression intraoculaire, photos du fond d'œil et du segment antérieur) pour interprétation et diagnostic, en téléexpertise, par les ophtalmologistes.
Ces évolutions auraient été décisives pour renforcer l’impact de l’expérimentation.
AC : Quel agenda en 2025 pour que les ARS ou l’État dresse un bilan de cette expérimentation ?
MG : Pour l’instant, aucun calendrier précis n’a été communiqué, malgré nos échanges réguliers avec les ARS et les bilans transmis par les membres de l'association.
Nous espérons que cette année supplémentaire sera la dernière (pour rappel la loi a été votée il y a déjà 6 ans, le 5 Février 2019) et permettra d'entériner la réfraction hors magasin, en s’appuyant sur les résultats probants déjà obtenus auprès des publics fragiles et de contribuer ainsi à valoriser le rôle des opticiens en mobilité.
Cette expérimentation doit également aboutir à des avancées concrètes pour améliorer la santé visuelle des personnes en perte d'autonomie et faciliter leur accès aux médecins, tout en positionnant les opticiens comme des professionnels incontournables du parcours de soin.
*Le Road est ouvert à tous les opticiens qui exercent leur activité principale à domicile et compte dans ses membres des opticiens indépendants comme des opticiens membres d'un réseau comme Les Opticiens Mobiles.