Marc Guyot publie ce jour un article sur le site de La Tribune, dans lequel il ne manque pas de donner son point de vue sur le procès opposant Optical Center à Optic 2000. Ce professeur à l'Essec Business School est un habitué des débats d’idées. Il nous a paru intéressant de mettre à votre disposition sa publication.

Voir l’article ici sur le site de latribune.fr

« Le Tribunal de Commerce de Paris vient de condamner Optic 2000, leader français de l'optique, à 29,5 millions d'euros d'amende à verser à son concurrent Optical Center au titre de dédommagement pour concurrence déloyale. En cause, l'optimisation de facture qui est une fraude malheureusement courante et qui touche tout le secteur de l'optique. Cette fraude consiste essentiellement à augmenter frauduleusement le prix des verres sur la facture des lunettes et à baisser le prix de la monture lorsque celle-ci excède le plafond de remboursement de l'organisme complémentaire d'assurance.

Tous les acteurs de la filière optique sont victimes de cette concurrence déloyale. En premier lieu, les opticiens honnêtes perdent des clients et les enseignes pâtissent de ce ternissement de leur image. En deuxième lieu, les mutuelles voient s'alourdir leurs remboursements et, in fine, les assurés qui voient leurs primes d'assurance enfler.

Ce délit n'est pas plus pris en charge par le Gouvernement que celui-ci ne prend en charge les remboursements des lunettes, puisque le Régime Obligatoire d'Assurance-Maladie ne rembourse que 5%. Le Gouvernement préfère gesticuler avec l'encadrement des remboursements par les mutuelles, mesure aussi inutile que néfaste, plutôt que de mobiliser la DGCCRF pour lutter contre la minorité de margoulins du secteur.

Le secteur doit organiser sa propre police

En conséquence, c'est le secteur lui-même qui doit faire sa propre police interne au niveau de l'offre et au niveau de la demande. Au niveau de l'offre, les enseignes nationales comme Atol ou Optic 2000 traquent la fraude au moyen de formations internes, de procédures de contrôle informatique et de certification ISO. Au niveau de la demande, les organismes complémentaires ont mis sur pied leurs propres réseaux d'opticiens conventionnés. Enfin, les associations de consommateurs alertent régulièrement les pouvoirs publics sur l'ampleur du phénomène. L'UFC-Que Choisir a réalisé en mai 2014 une enquête avec des clients mystères qui devaient informer l'opticien qu'ils désiraient acquérir une monture dont le prix était supérieur au montant maximal remboursé par leur assurance complémentaire. 82,1% des opticiens n'ont proposé aucun arrangement frauduleux mais en revanche, 17,9% des opticiens de l'enquête ont proposé une optimisation de facture.

Des comportements de concurrence déloyale

Malheureusement, cette fraude, outre des comportements positifs internes d'assainissement, génère également des comportements négatifs de concurrence déloyale qui, bien que légaux, n'en sont pas moins condamnables en termes d'éthique. L'éthique est supérieure au juridique en ce sens qu'elle réfère à l'acte bon et ne se cantonne pas à l'acte légal. Dans l'espace laissé libre entre l'éthique et le droit, s'est engouffré un petit nombre de firmes qui use de stratégies de guérillas juridiques pour éliminer légalement des concurrents en utilisant des moyens contraires à l'éthique de la concurrence.

Il est notoire que des firmes comme Apple et Samsung se livrent à de telles guérillas au nom du respect de la propriété intellectuelle dans le simple but de ralentir la progression des produits de leurs concurrents. De même, l'essentiel des plaintes pour dumping à l'OMC visent simplement à suspendre des concurrents et le temps qu'ils soient blanchis par l'enquête est mis à profit par le plaignant manipulateur pour gagner des parts de marché.

Difficile d'éliminer tous les moutons noirs

Optical Center a attaqué Optic 2000 en se basant sur des visites mystères organisées par lui-même et au cours desquelles des opticiens membres du réseau Optic 2000 auraient proposé ou effectué de l'optimisation de factures. A supposer que les faits soient réels, ils concernent un comportement délictueux des opticiens concernés et non une pratique généralisée et encouragée dans l'entreprise. En effet, malgré l'assainissement interne mené par un réseau, il est difficile d'éliminer l'intégralité des moutons noirs. La preuve en est qu'Optical Center n'en est pas plus capable que les autres puisque dans l'enquête de l'UFC-Que Choisir de 2014, la  fraude concernait certes 15,4% de membres d'Optic 2000 mais aussi 6,4% des membres d'Optical Center.

L'éthique de la concurrence

L'utilisation de ces cas de fraude pour mettre en cause le réseau lui-même procède d'une stratégie de nuisance contre un concurrent en utilisant le Tribunal de Commerce de Paris comme instrument. L'éthique de la concurrence est qu'une firme peut en éliminer une autre si elle fait preuve d'une efficacité supérieure en matière de processus de production, d'organisation, d'innovation de produits ou de services dans l'intérêt du consommateur.

Faire preuve d'efficacité dans l'exploitation des failles de la loi pour ternir un concurrent et lui extorquer des fonds n'est pas illégal mais contraire à l'éthique de la concurrence. En effet, ça ne contribue en rien au bien-être collectif ni à celui du consommateur. La concurrence ne saurait être uniquement l'enrichissement de l'actionnaire mais constitue au contraire le moteur du progrès technique et social, au bénéfice mutuel des consommateurs et des producteurs sainement efficaces.

Il est bien triste de voir que l'organe chargé de la régulation des relations entre entreprises (Tribunal de Commerce, ndlr) se fait l'instrument d'une stratégie de concurrence déloyale légale au nom de la lutte contre la concurrence déloyale ».