Le rachat de Sensee par Acuitis, que nous avons annoncé ce matin, clôt une période ouverte à la fin des années 2000. Celle où le modèle disruptif d’Internet pouvait prétendre, en tout cas auprès des consommateurs et des pouvoirs publics, à remettre de l’ordre dans une filière optique dont on répétait à l’envie l’opacité. Face aux équipements réputés « trop chers », l’accessibilité aux soins optiques devait forcément passer, pour le gouvernement comme pour les acteurs de la prise en charge, Ocam et réseaux de soins, par une pression accrue sur les prix. Point d’orgue de cette logique, la réforme 100% Santé, en tout cas dans sa première étape, avec la création des prix limites de vente pour le panier A et le nouveau plafond de remboursement des montures à 100 euros.
Sortir de cette dynamique de réduction des prix
Or, limiter la question de l’accessibilité aux équipements optiques à la seule baisse des prix n’est pas forcément un bon calcul, comme en témoigne l’échec de Marc Simoncini sur ce marché. Ni pour les les acteurs de la filière ni pour les porteurs. L’expérience de Sensee est, de ce point de vue, une bonne illustration des limites économiques d’une stratégie purement comptable. Aux pouvoirs publics comme aux réseaux de soins de veiller, désormais, à sortir de cette dynamique de réduction des prix, au mépris de la chaîne de valeur constituée tant par les fabricants de verres et de montures que par les opticiens. Sous peine de fragiliser gravement l’ensemble de la filière optique, avec les conséquences prévisibles sur l’emploi en France dans la distribution et dans l'industrie, et de mettre en péril la qualité de l’accès aux soins pour tous les Français.
Agnès Buzyn interpellée par une sénatrice
Lors de la séance publique du Sénat le 22 janvier dernier, la sénatrice du Calvados et membre d’Union centriste Sonia de la Prôvoté a clairement exprimé ces risques en interpellant Agnès Buzyn, la ministre de la Santé et des Solidarités : « Les produits RAC 0 ne sont pas fabriqués dans l’hexagone. C’est un coup dur pour la filière de la lunette française […] qui a perdu, en raison des délocalisations, près d’un tiers de ses emplois. Outre cette difficulté, les opticiens, par la diminution des frais optiques, craignent de subir un impact important sur leur chiffre d’affaires […]. Nous attendons une mesure d’impact complète sur le 100% Santé. »
Si l’on peut comprendre que les Ocam ne veulent plus rembourser l'optique à l’aveugle, les tarifs imposés par le 100% Santé et les réductions des prix de vente par les réseaux de soins engendrent une difficulté d'exploitation pour de nombreux magasins dont les résultats sont actuellement aux alentours de -5%. Or, en dessous de 3% de résultat net, impossible d'investir, d'acheter des produits français et d'envisager l'avenir. Et sans parler du souci d'accéder à une bonne vision et à des équipements de qualité, le porteur sera aussi sensible à la préservation des emplois locaux, à la diversité du commerce de proximité et à la santé économique de tous les territoires.