À plusieurs reprises, Acuité a relaté par différents exemples la volonté de la Cnam et des Ocam de s’attaquer à la fraude des professionnels de santé (liens en bas de page). Nous avons interrogé Amélie Violeau, directrice des relations avec les professionnels de santé chez SantéClair, notamment chargée de la lutte anti-fraude, sur la manière dont le réseau de santé combat les arnaques et abus.
Acuite : Quels sont les enjeux de la fraude ?
Amélie Violeau : Dans le domaine de la santé au global, en termes de volumes, ce sont les assurés qui représentent la plus grosse part de la fraude. Mais en termes de montants financiers, ce sont les professionnels de santé qui constituent les 2/3 du total, selon le rapport 2022 de l'Assurance maladie. Santéclair est confronté à la fraude au tiers-payant et par conséquent 100% du préjudice provient des professionnels de santé.
Le potentiel de fraude à l’assurance santé représente environ 7% des prestations payées. Nous constatons le même pourcentage dans notre activité, concentrée sur les soins d’optique, bucco-dentaires et d’audition. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place depuis plusieurs années toute une politique pour combattre ces pratiques. Actuellement, nous avons à temps plein une équipe de lutte anti-fraude épaulée par des data scientists chargés de l’analyse des données numériques ainsi que des professionnels de santé salariés qui nous renseignent sur les pratiques du terrain. Au total, entre 40 et 50 personnes travaillent sur ces fraudes sur 370 salariés.
AC : Comment détectez-vous les fraudeurs ?
AV : Aujourd’hui, la quantité gigantesque de données de santé numérisées implique d’avoir un système sophistiqué d’intelligence artificielle pour recouper les informations. Seuls, des individus ne pourraient pas réaliser ce travail de filtrage et de tri tant les flux sont considérables.
Nous avons plusieurs moyens complémentaires pour lutter contre la fraude. Le premier est la prévention : par exemple, avant de conventionner un professionnel de santé, notre système vérifie en détail qu’il est bien la personne qu’il prétend être et qu’il n’usurpe pas une identité ou qu’il n’utilise pas une adresse fictive. C’est un type de fraude classique.
D’autre part, les algorithmes que nous avons conçu permettent de détecter des activités atypiques et de mener une enquête plus approfondie. Par exemple, si nous remarquons qu’un opticien a une activité très forte en lentilles de contact bien au-dessus de la normale, il peut s’agir d’une fraude, ou bien cela signifie simplement que cet opticien est reconnu pour ses compétences en contactologie, ce qui explique la situation. Si l’informatique est un outil essentiel, il ne nous dispense pas de vérifier en détail les suspicions.
AC : Quelle est le dernier cas suspect que vous ayez rencontré ?
AV : Il y a eu récemment le cas d’un audioprothésiste qui facturait via le 100% Santé un grand nombre d’aides auditives qu’il n’a jamais livré. Lorsque nous lui avons demandé de nous fournir les bordereaux de livraison, il en était incapable. En guise de preuve, il nous a envoyé une photo de son stock d’assistants d’écoute, qui ne correspondait pas du tout aux produits de classe 1. Sur la photo, on apercevait aussi une de ses chaussures d’une très grande marque de luxe.
AC : Comment réagissez-vous dans ce genre de cas ?
AV : Lorsque nous avons un soupçon dans un cas comme celui-là, l’algorithme vient nous confirmer que son activité n’est pas conforme. Selon la situation, nous pouvons réclamer les sommes versées, et éventuellement engager une procédure de suspension du conventionnement. C’est ce qu’il y a de plus efficace et rapide : il faut savoir que c’est très difficile et extrêmement long de mener une action en justice jusqu’au bout.
AC : Le développement du numérique a-t-il complexifié la lutte contre la fraude ou l’a-t-il simplifié ?
AV : Le numérique a facilité la vie des fraudeurs qui se sont multipliés ces dernières années, et sensiblement pendant le Covid. L’avantage, c’est que nous pouvons nous aussi utiliser des nouvelles technologies comme l’IA pour traiter une quantité énorme de données en un laps de temps très court et cela nous fait gagner en efficacité. Nous nous adaptons en permanence aux techniques des fraudeurs.
Le 100% Santé est bénéfique aux Français, mais aussi aux fraudeurs, surtout dans les domaines du dentaire et de l’audition, moins en optique, bien que certains opticiens se dirigent vers l’audition avec une mauvaise intention.
Il y a quelques années encore, les opticiens voyaient d’un mauvais œil nos contrôles, mais j’ai l’impression qu’ils ont aujourd’hui un regard différent, parce qu’ils sont plus conscients de l’ampleur des dégâts causés sur l’image de la profession.
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