« Comment prendre en charge la santé visuelle dans les années à venir ? Peut-on faire oublier la presbytie ? » Ces interrogations traduisent les défis à relever pour répondre aux exigences d’une population qui ne cesse de croître et de vieillir. Pour faire le point sur ce qui attend la filière de santé visuelle, Stéphane Billon, économiste de la santé - enseignant chercheur à l’Université Paris-Dauphine, et le Dr. Florence Malet, ophtalmologiste à Bordeaux, ont répondu aux questions d’Acuité.
Acuité : Comment évolue la population française ?
Stéphane Billon : Avec une moyenne de 85 ans pour les femmes et de 79 ans pour les hommes, les Français figurent dans le « top 10 » mondial des peuples ayant la plus forte longévité. La durée de vie s’est sensiblement allongée au cours du siècle dernier et cette tendance va se poursuivre sans faiblir à horizon 2030.
A. : Des chiffres à nous donner ?
S.B. : En 2020, notre pays comptera 46 000 centenaires. La part des plus de 80 ans va doubler d’ici 2050. Notre médecine étant efficace, les gens vivront plus vieux en bonne santé. Le fameux 3ème âge va donc se déplacer vers 80-85 ans avec des populations plus actives et plus autonomes. Le facteur démographique, par le vieillissement de la génération du baby-boom, laisse donc présager une croissance de la demande de soins. On va assister à une explosion des pathologies.
A. : Quelles sont les conséquences en termes de santé visuelle ?
Dr. Florence Malet : Globalement le nombre de pathologies oculaires est en augmentation chaque année. La DMLA et le glaucome sont mieux pris en charge grâce au progrès médical et au dépistage précoce. Pour la cataracte, nous opérons 825 000 personnes par an, contre 500 000 il y a 7 ans. On remarque d’ailleurs que l’âge moyen de cette opération rajeunit, aux alentours de 70 ans aujourd’hui. C’est l’une des conséquences du besoin d’autonomie grandissant des personnes âgées.
A. : Et pour les presbytes ?
Dr. F.M. : En France, nous comptons 29 millions de presbytes et 600 000 nouvelles personnes atteintes chaque année. Voyez donc le travail qui nous attend ! Les différentes solutions optiques pour la corriger, qu’il s’agisse de verres de lunettes, de lentilles de contact, de photo-ablations cornéennes ou d’implants intraoculaires, ont connu des évolutions récentes particulièrement orientées vers la préservation, voire l’optimisation de la qualité de la vision de loin.
Nous observons aussi une demande croissante pour l’équipement en lentilles de contact. 17% des presbytes seraient intéressés par des lentilles progressives. Alors que les designs sont de plus en plus performants, le concept commence à être connu des Français. Notre pays fait d’ailleurs déjà partie de ceux qui prescrivent le plus des lentilles multifocales, du fait que la technologie progressive est bien intégrée. Cette pratique est donc amenée à se développer davantage.
A. : Sommes-nous en capacité de répondre à cette augmentation de la demande ?
S.B. : Malheureusement, on assiste également au vieillissement de l’offre de soins avec des spécialistes qui vont partir à la retraite et sont faiblement remplacés. En parallèle, les femmes sont de plus en plus nombreuses dans ces professions. Elles travaillent mieux mais moins ! Le solde entre les départs et les arrivées reste donc négatif.
A. : Comment notre système de santé devra-t-il s’adapter ?
S.B. : En 2030, la population aura augmenté de 7% et vivra en moyenne 3 années de plus. Cela montre que notre système de santé est relativement performant mais il n’en souffre pas moins d’insuffisances majeures, par exemple en matière de prévention. La prise en charge de la presbytie reposera alors de plus en plus sur le perfectionnement de notre système de santé dans son ensemble (environnement, comportements, prévention...) et non uniquement sur le système de soins curatif, sur lequel se sont concentrées jusqu’à présent les politiques publiques.
Il faudra aussi faire intervenir beaucoup plus d’auxiliaires, pour soulager le travail des spécialistes sous couvert des délégations de tâches. Cette coopération va aller en explosion du fait de la pénurie annoncée de médecins.
A. : Que pouvons-nous attendre des nouvelles technologies, comme les lunettes ou les lentilles connectées ?
Dr. F.M. : Ce sont des projets qui avancent bien mais les applications restent élitistes pour le moment. Elles ne sont pas faites pour la vie de tous les jours. Seulement dans certains cas, l’usage des lunettes ou lentilles connectées peut devenir quelque chose de régulier (mesure du taux de glucose chez le diabétique ou de la tension dans l’œil en cas de glaucome). Mais c’est une bonne chose pour la prise en charge des patients.
S.B. : Quoi qu’il en soit, cette évolution devra passer par des processus d’évaluation assez sévères, qui vont freiner l’accès à l’innovation. La Haute Autorité de Santé (HAS) a d’ores et déjà commencé à préparer des didacticiels à destination des professionnels de santé pour indiquer « quand et comment utiliser ces nouvelles technologies ». Un département spécifique à l’ophtalmologie sera créé pour accompagner les soignants, en partenariat avec la société savante et sûrement le syndicat de la profession. Il devra répondre à certaines questions comme « dans quel cas de figure proposer une lunette connectée au patient ? ». D’ici 2 ans, on devrait avoir un programme d’accompagnement validé.