A la toute fin du mois de septembre, la présentation du PLFSS 2022 a évoqué la possibilité d’accorder aux orthoptistes la primo-prescription. Pas aux opticiens, malgré les recommandations du rapport Igas. Acuité a demandé aux syndicats d’opticiens (Fnof, Rof, Synom) de réagir à ce projet de loi.
 

Alain Gerbel, président de la Fnof : « Si les opticiens se voient accorder les mêmes prérogatives, qu’en feront-ils ? »

« C’est un projet de loi, ce n’est pas sûr qu’il aille au bout. Mais il s’agit d’un ensemble de mesures qui sont très loin d’être satisfaisantes et qui ont besoin d’être complétées. Le gouvernement se tourne vers les orthoptistes car cette profession a bénéficié d’une réingénierie, d’une réforme de la formation, et a déjà été choisie par les ophtalmologistes il y a quelques années, à la place des opticiens.

Mais ce projet créé un précédent. C’est une entorse qui est faite au niveau des règles de prescription et, donc une brèche qui s’ouvre dans le monopole de la primo-prescription par les ophtalmologistes. Et il pourrait y avoir une seconde brèche ! Avec la mise en place d’une réingénierie de l’optique, à l’ordre du jour dès 2022, cela laisse augurer de belles perspectives pour la profession.

Mais si les opticiens se voient accorder les mêmes prérogatives, qu’en feront-ils ? Car il faut reconnaitre que sur le renouvellement après adaptation, la profession ne s’est pas jetée dessus. En 14 ans on n’a jamais fait plus de 10% des équipements. Nous aurons là aussi une segmentation entre ceux qui ne veulent pas prendre de responsabilité et ceux qui font leur travail d’opticien de santé. »
 

Thibaut Pichereau, délégué général du Rof : « Cette proposition ne réglera pas la question des déserts médicaux et des délais de RDV »

« Cette proposition d’accorder la primo-prescription aux orthoptistes, incluse dans le PLFSS 2022, est une très bonne chose pour eux. Tout comme celle concernant le dépistage des enfants et des entrants en Ehpad. Ce sont des avancées certes. Mais si l’on considère les 28 mesures préconisées par le rapport Igas englobant à chaque fois orthoptistes et opticiens, il semble que cet arbitrage du gouvernement accouche d’une souris ! La bonne équation qui repose sur une collaboration entre les 3 « 0 » n’y est pas.

Et cette proposition ne réglera pas partout la question des déserts médicaux et des délais d’attente de rendez-vous chez l’ophtalmologiste : en effet, une grande partie des orthoptistes sont salariés dans les cabinets et font déjà de la prescription. Or, selon l'étude que nous avons réalisée sur la base des chiffres de la Drees, en 2026, 73 départements (38 millions de personnes) seront en grave sous-effectif d’ophtalmologistes et d’orthoptistes, sachant que leur répartition géographique est similaire.

Pour le Rof, la proposition du PLFSS se révèle donc insuffisante. Il faut adapter les solutions à la réalité démographique de chaque département et intégrer les opticiens qui sont partout en France en capacité de répondre aux enjeux de l’accès rapide à l’ordonnance. »
 

Véronique Bazillaud, déléguée générale du Synom : « Le gouvernement est peut être inquiet de la double-casquette de l’opticien »

« C’est une grosse déception, car c’est une nouvelle mesure proposée par le rapport Igas qui n’est pas retenue. Selon nous, acteurs mutualistes de terrain, y compris dans zones de déserts médicaux, si les orthoptistes sont les seuls à pouvoir prescrire, cela ne va pas du tout aider à solutionner le problème des délais de rendez-vous dans ces territoires. Ils n’auront pas forcément le temps et, de toute façon, ils ne sont pas implantés partout dans les territoires, comme c’est le cas pour les opticiens.

Ce projet de loi est d’autant plus incompréhensible que les opticiens sont capables de prendre les mesures, de prescrire et de faire le lien avec l’ophtalmologiste. Nous restons persuadés que ce dernier doit rester le point central du dispositif, et nous sommes prêts à travailler avec le gouvernement pour trouver des solutions.

Car il n’y a pas de raison objective de ne pas mettre en place les propositions de l’Igas. Le gouvernement est peut être inquiet de la double-casquette de l’opticien, à la fois acteur de santé et acteur commercial. Là aussi, on peut travailler dessus. Mais il faut nous laisser travailler pour faciliter l’accès aux soins. »