Les fabricants peuvent-ils interdire à leurs distributeurs agréés de vendre leurs produits sur Internet ? La Cour de Justice des Communautés Européennes tranchera prochainement sur cette question, dans le cadre d'une procédure opposant les Laboratoires Pierre Fabre Dermo-Cosmétique et le Conseil de la Concurrence (devenu l'Autorité de la Concurrence).
"Seule la présence d'un professionnel qualifié garantit un conseil optimal"
Le fabricant des marques Avène, Ducray / A-Derma, Klorane, Galénic / Elancyl... avait été condamné en octobre 2008 à une amende de 17 000 euros pour avoir refusé de céder aux injonctions du Conseil de la Concurrence, qui lui demandait d'autoriser ses distributeurs agréés à vendre ses produits cosmétiques sur leur site Internet. Le Conseil juge que cette pratique entrave la concurrence, mais les Laboratoires Pierre Fabre estiment que "seule la présence physique d'un diplômé en pharmacie garantit au consommateur d'être conseillé de manière optimale par un professionnel qualifié". La société "demeure opposée à toute vente à distance de ses produits dermo-cosmétiques, car celle-ci ne peut garantir le conseil personnalisé d'un professionnel qualifié, favorise la contrefaçon, et empêche une traçabilité parfaite des produits seule à même d'assurer une cosmétovigilance de qualité" explique-t-elle dans un communiqué.
Une décision dans les mains de la CJCE
Pierre Fabre a ainsi fait appel de cette condamnation. Mais, dans un arrêt du 29 octobre, la cour d'appel de Paris a considéré qu'elle ne disposait pas de suffisamment d'éléments pour trancher. La juridiction a donc décidé de saisir la CJCE, afin que celle-ci détermine "si l'interdiction générale et absolue de vendre sur Internet les produits contractuels aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d'un réseau de distribution sélective constitue effectivement une restriction caractérisée de la concurrence".
Dans l'attente de la décision de la CJCE, les injonctions prononcées par l'Autorité de la Concurrence à l'encontre des Laboratoires Pierre Fabre sont suspendues. Cela signifie que la vente sur Internet de produits dermo-cosmétiques des Laboratoires Pierre Fabre reste interdite. L'arrêt de la cour d'appel de Paris satisfait Jacques Fabre, Directeur Général de la société : "La cour semble accepter nos arguments. Notre distribution s'appuie sur une compétence technique, à savoir celle d'un pharmacien diplômé. De plus, nous ne voyons pas en quoi notre position génère une restriction de concurrence : un grand nombre de pharmacies et de parapharmacies distribuent nos produits permettant ainsi une vive concurrence." a-t-il expliqué à nos confrères du Quotidien du Pharmacien.
La future jurisprudence devrait s'appliquer à notre secteur
Quelle que soit la décision de la CJCE, celle-ci fera jurisprudence et devrait s'appliquer in fine à notre secteur. Si la justice européenne donne raison aux Laboratoires Pierre Fabre, les fabricants de lentilles, de montures et de verres pourraient alors interdire aux opticiens de vendre leurs produits sur leur site Internet, pour les mêmes raisons. La CJCE risque cependant de trancher en faveur de l'Autorité de la concurrence : les instances communautaires, notamment la Commission européenne, restent favorables à la vente sur Internet, qui accroit la concurrence entre les distributeurs. Rappelons que Bruxelles a lancé, en septembre 2008, une procédure contre la France pour "entraves à la vente en ligne de produits d'optique-lunetterie". L'Etat français affirme quant à lui ne pas s'opposer à cette voie de distribution par les opticiens, à condition que ceux-ci respectent toutes leurs obligations en termes de diplôme, de conseils du client et d'adaptation.
Voir aussi : notre débat télévisé : "Le consommateur est-il prêt à acheter sur Internet ?". Nos invités ont fait le point sur les attentes des consommateurs sur la vente en ligne, la situation chez nos voisins européens et la future place des opticiens français dans ce domaine.
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