Vous êtes nombreux à constater une augmentation des prix d’achat des lentilles de contact. Cette hausse se rapproche parfois de 10% pour certaines gammes. Comment l’expliquer et comment développer l’activité en contactologie dans ce contexte ?
Nous avons posé la question à Maher Kassab, PDG de Gallileo Business Consulting.
Maher Kassab, PDG de Gallileo Business Consulting
Acuité : Comment expliquer cette tendance à la hausse des prix en contacto ?
Maher Kassab : Tous les prix augmentent, et les lentilles de contact ne font pas exception. L’augmentation est généralisée, chaque année, car elle suit les coûts de production des acteurs industriels qui augmentent également. Qu’il s’agisse d’énergie, de transport, mais aussi de masse salariale. Même ceux qui essaient d’éviter au maximum une répercussion de ces hausses finissent in fine par les appliquer.
AC : L’opticien peut-il absorber cette hausse sans la répercuter sur ses prix de vente ?
MK : Il doit nécessairement répercuter cette augmentation. En revanche, il peut faire preuve d’agilité en ajoutant le montant de l'augmentation du coût d’achat au prix de vente sans utiliser le coefficient multiplicateur. Par exemple, si l’opticien constate une augmentation de 5 euros TTC sur un produit, il peut à minima augmenter ses prix de vente de 5 euros.
L’opticien a intérêt aussi à massifier ses achats et développer son sell out, de manière à réduire son prix d’achat en augmentant les volumes commandés.
AC : Est-ce que cette hausse peut dissuader l’achat de lentilles en magasin ?
MK : L’intérêt d’acheter des lentilles et produits en magasin réside dans le service et les conseils qui y sont fournis. Si l’opticien veut continuer à être attractif en contacto et générer du flux pour conserver une clientèle fidèle, il doit développer les services qu’il offre au porteur, comme sa capacité d’informer, de conseiller, de suivre son client à intervalles réguliers, et de proposer des services santé comme l’adaptation, mais aussi commerciaux avec des offres promotionnelles ciblées pour couper l’herbe sous le pied de la vente en ligne. Il peut alors enclencher un cercle vertueux de progression des achats.
Baromètre 2023 Les Français et l'optique @Gallileo Business Consulting
AC : La hausse du prix des lentilles peut-elle modifier le rapport de répartition entre les ventes en magasin vs sur internet ?
MK : Les lentilles vendues sur internet pourraient aussi connaitre une hausse des prix, bien que ces acteurs aient la possibilité de faire du dumping en vendant moins cher que le prix du marché pour conserver leurs volumes de vente. Les opticiens peuvent perdre des parts de marché sur ce segment si les prix qu’ils pratiquent deviennent beaucoup plus élevés que la vente sur internet. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y a très peu de porteurs qui effectuent leurs achats seulement sur internet. L’opticien garde aujourd’hui complètement la main sur ce marché.
Par ailleurs, tous les porteurs de lentilles s’équipent d’abord en lunettes correctrices avant de passer aux lentilles. Le porteur peut aussi avoir des lentilles sous ses solaires. Donc, en moyenne, un client lentilles dépense 2,5 fois plus à l’année et revient plusieurs fois en magasins dans l’année.
Baromètre 2023 Les Français et l'optique @Gallileo Business Consulting
AC : Quels autres conseils donner aux opticiens qui veulent développer la contactologie ?
MK : Il ne faut pas regarder la lentille comme un produit en soi avec sa marge associée, mais comme un levier complémentaire permettant de faire revenir plus souvent le client en magasin, tout en faisant reconnaitre l’opticien comme un professionnel de santé auprès des consommateurs et des partenaires ophtalmologistes.
Il est possible de proposer des lentilles journalières en complément de mensuelles, car lorsqu’on part en weekend ou en vacances, certains porteurs n’ont pas envie de transporter leur solution d’entretien.
Il faut aussi parler de la lentille multifocale ; la majorité des consommateurs qui ne portent pas de lunettes découvrent leur presbytie vers 45 ans et tardent à repousser le port de lunettes correctrices. C’est le bon moment pour proposer des lentilles dont on sait aujourd’hui qu’elles fonctionnent parfaitement sur les presbytes grâce aux dernières innovations. L’opticien peut ici jouer tout son rôle pour en parler et en proposer à ses clients.
Baromètre 2023 Les Français et l'optique @Gallileo Business Consulting
Et autant les sites de vente de lentilles en ligne peuvent avoir de super prix car ils achètent de grosses quantités et qu'ils appartiennent à des gros groupes financiers ou/et optiques, autant un magasin physique seul ne peut pas trop commander en gros car il va se retrouver avec un important stock de lentilles non vendues et dont la date finira par arriver à échéance. Cette action est donc très limitée, sans compter le renouvellement des gammes qui finit souvent par rendre obsolètes les lentilles précédentes qui nous resteraient en stock. Et on a même pas parlé des lentilles toriques ou progressives en plus, là c'est même pas la peine d'y penser. Donc ce qu'une boutique gagne comme remise sur les achats en gros, elle le perd bien souvent sur le prix final, ou les invendus, les péremptions et les changements de lentilles. La plupart ne se permet donc ça que sur des best seller sphériques (total 1, Aqua Comfort plus, moist, etc) et seulement pour ceux qui se le permettent, ça n'est clairement pas tout le monde qui peut le faire.
Après dire qu'il faut accepter de quasiment rien gagner sur les lentilles pour faire acheter autre chose au client à côté ça peut s'entendre, sauf que si un porteur de lentilles veut acheter une solaire ou une paire de lunettes de vue il le fera de toute façon et ce n'est pas forcément le fait que son opticien lui fasse des lentilles qui fera forcément la différence. Car en ce qui concerne les lunettes si une personne ne trouve pas son bonheur chez son opticien lentilles, elle n'aura aucun scrupule à les acheter ailleurs. En lunettes c'est de trouver la bonne monture qui compte, peu importe que son opticien fasse des lentilles à côté, si le client ne trouve pas son bonheur c'est mort. Et puis si on fait un prix sur les lentilles au client on devra lui faire un prix sur les lunettes. Au final l'absence de marge sur les lentilles va se ressentir sur la marge des lunettes, l'ensemble ayant une marge plus basse au final et cet ensemble étant donc tiré vers le bas. Et quand on tire vers le bas on va très rarement vers le haut en général si besoin était de le préciser.
Sans compter que la majorité des porteurs de lentilles savent ce qu'ils veulent, donc si on essaye de les pousser à acheter autre chose ça leur plait pas en général. Un client lunettes est souvent bien plus ouvert qu'un client lentilles car il a prévu de prendre le temps de faire ses essais, d'avoir une paire optique mais aussi solaire, et surtout de bien prendre le temps de les choisir car il sait qu'il est parti pour 2 ans après avec. Alors qu'un client lentilles ne choisit rien, n'a pas prévu de prendre du temps, et passe très souvent en coup de vent. Donc dans la réalité pousser un client lentilles à prendre des lunettes ne marche pas très bien. S'il en veut il viendra de toute façon en magasin, s'il n'en veut pas il ne viendra pas et ne prendra jamais le temps pour ça. Baisser le prix des lentilles n'est donc quasiment jamais un argument pour vendre des lunettes dans la réalité.
Tout cela est donc très limité et la conclusion restera la même : les prix des lentilles vont augmenter. On croise juste les doigts pour que les gens aient une mutuelle qui peut absorber cette augmentation quand on est opticien. Car les leviers à côté sont quasiment inexistants en réalité dans la pratique et nos marges bien trop faibles pour ne pas subir le marché. Sans compter qu'on fait bien souvent le tiers payant avec les mutuelles donc c'est un service en plus qu'il faut bien rentabiliser un minimum. C'est notre véritable avantage concurrentiel par rapport à la vente en ligne. Et ça peut pas se conserver en baissant les prix. Il vaut mieux rester la force de conseil et de service que l'on est.
La vérité c'est qu'on ne pourra pas éviter de toute façon l'inflation car ce n'est pas un phénomène individuel ou sectorisé mais très souvent volontaire en réalité, et qui englobe toute la société. On connait toujours de petites augmentations ponctuelles par ci par là et toujours une grosse inflation qui arrive tous les 10 à 20 ans et qui est décidée à des échelles très élevées. Quand on est passés à l'Euro par exemple. Tout ça est décidé à grande échelle et on ne peut que subir et suivre cette décision faite en amont. C'est pour ça que l'inflation se produit car ceux qui la décident en haut savent que tout le monde en bas sera obligé de suivre et qu'on ne pourra pas l'éviter. Dans ce contexte là c'est pas ceux tout en bas de l'échelle qui pourront faire grand chose. Les prix vont augmenter partout pour tous et il n'y a plus qu'à espérer que les salaires suivront. Mais comme ça ne sera pas le cas pour tout le monde faudra pas s'étonner si les offres discount cartonnent et si la qualité des services diminue globalement dans la société, des hôpitaux et de la santé en général jusqu'à l'école qui sont en première ligne.
Quel est le coût de la prestation ?
Est elle perceptible ?
Est elle perçue si elle est réalisée ?
Comment la valoriser ?
Cela ne vaut il pas un article ?
Ne sommes que des « distributeurs » ??