Laurent Éveillard, président du Syndicat national de l'optique mutualiste (Synom) a répondu à nos questions.

 

L'évolution du 100% Santé

 

Acuite : Où en sont les négociations sur l'évolution de la réforme 100% Santé ?

Laurent Éveillard : La balle est dans le camp des autorités. De notre côté, nous avons communiqué à la DGOS et aux différentes parties nos propositions, formulées sur la base de constats étayés. Nous sommes dans l’attente de la reprise des travaux depuis cet automne et aucune date ne nous est communiquée à ce jour. Cette interruption non annoncée est tout aussi surprenante que l’ont été les échanges que nous avons eus avec les autorités depuis 1 an.

Quelle direction doit prendre le 100% Santé en optique selon vous ?

Deux axes nous semblent pouvoir structurer la réforme :

  • Le premier pilier de cet acte II doit être celui de la prévention, du dépistage et de l’accès aux soins. Pour cela, il nous faut repenser l’organisation des professionnels de la santé visuelle et les rôles et responsabilités de chacun. Articulation du parcours de soins, évolution des compétences et formations, parutions de textes réglementaires (décret d’actes, règles professionnelles) … Le chantier est vaste. Ensuite, des enquêtes épidémiologiques doivent être initiées pour mieux appréhender la prévalence des troubles et pathologies visuels de la population et ses besoins, et des travaux d’élaboration d’une stratégie nationale des soins visuels comprenant des stratégies de dépistage et de suivi pour les enfants, les jeunes adultes et les patients vieillissants doivent être menés. L’opticien doit en être un acteur clé en magasin, à domicile comme en milieu scolaire.
  • Le second pilier est celui de l’accès aux équipements optiques, encore pour partie contraint. Tiers payant restant à généraliser, part de la population exclue du dispositif, méconnaissance du 100% Santé, coûts cachés de la classe A (verres forte correction, prismes et filtres, double équipement unifocal…), prise en charge des équipements de classe B essentiels (lentilles à indication médicale contraignante, verres freinateurs…).

Pour incarner cet acte II, nous portons une proposition forte : prendre en charge pour chaque enfant, aux divers âges clés de sa croissance, sans condition d’amétropie, une paire de lunettes solaires de classe A, accompagnée d’une prestation de prévention réalisée par l’opticien. Il est nécessaire de pouvoir s’adresser à tous les enfants, y compris sans amétropie, afin de prévenir l’ensemble des risques et de renseigner les familles sur les comportements protecteurs. Par ailleurs, sur le risque solaire plus spécifique, nous voyons encore trop d’enfants, parfois des bébés, sans protection, au risque de dommages importants.

 

2. Virage préventif et dépistage

 

Acuite : Comment valoriser les compétences des opticiens au regard des enjeux sociétaux ?

Laurent Éveillard : L’augmentation de la prévalence de la myopie chez les enfants doit être une préoccupation majeure pour chacun et donne chair à notre développement précédent concernant l’acte II du 100% Santé. Nous ne sommes organisés ni pour suivre cette épidémie, ni pour la freiner, ni pour la prendre en charge.

Dès 2018, et avant cette explosion des besoins - qui n’en est qu’à ses débuts, la Cour des comptes soulignait la particulière vulnérabilité des plus jeunes, alors que près du tiers ne bénéficie d’aucune solution d’accès à un ophtalmologiste, en ville comme à l’hôpital. En confiant la réalisation des mesures préalables (réfraction, tonométrie, fonds d’œil) au diagnostic médical aux opticiens, nous pourrions libérer les temps ophtalmologiques, mais également orthoptique, indispensables à la prise en charge des pathologies de l’enfant.

Comment améliorer la prévention en santé visuelle en s'appuyant sur les opticiens ?

Si de nombreux bilans visuels sont d’ores et déjà prévus pour rythmer la croissance de l’enfant et dépister les éventuels troubles et pathologies dès leur apparition, la réalité de leur réalisation varie fortement en fonction de la disponibilité territoriale des professionnels de santé spécialisés, en ville comme à l’école. Il est vain d’imaginer répondre aux défis de la prévention et du dépistage chez l’enfant en s’appuyant sur des professions déjà en tension. L’opticien pourrait,

  • à l’entrée en école primaire, au collège et au lycée, se rendre dans les établissements pour délivrer des messages de prévention adaptés à chaque âge et réaliser des dépistages simples des troubles visuels. Des protocoles devraient être arrêtés avec l’ensemble des acteurs concernés.
  • C’est également en magasin, en s’appuyant sur la nouvelle prestation de prévention qui accompagnerait la délivrance d’une paire de lunettes solaire (voir ci-dessus) et dont nous appelons à la création que dépistage et prévention pourraient être menés.
  • Une fois la myopie apparue, le rôle de l’opticien ne cesse pas. Le développement des verres freinateurs de myopie est essentiel. La recherche doit être encouragée et ces verres pris en charge. Leur efficacité doit également être soumise à l’évaluation indépendante des autorités.

Ces verres techniques nécessitent une implication accrue de l’opticien, reconnue par la HAS dans son avis sur Miyosmart, qui est le professionnel qualifié pour suivre régulièrement l’enfant équipé et rendre compte à l’ophtalmologiste entre deux consultations. Ces prestations indissociables doivent être reconnues.

 

3. Éco-responsabilité de la filière

 

Acuite : Quelles pistes pour homogénéiser l’éco-responsabilité dans la filière de l’optique-lunetterie ?

Laurent Eveillard : La responsabilité environnementale du Synom est ancienne et notre combat est notamment d’amener la filière à s’en saisir collectivement, pour être à la hauteur de l’enjeu citoyen comme pour accompagner l’opticien dans les bouleversements qui l’accompagnent. Au printemps dernier, nous avions interpelé, avec succès, la profession en proposant la structuration d’une réponse de filière à ces nombreuses questions. Nous nous réjouissons qu’une réflexion dédiée s’organise prochainement, première étape à cette contribution conjointe.

Penser les impacts environnementaux des dispositifs médicaux est indispensable et en réduire les incidences, nécessaire. Cela devrait d’ailleurs bientôt s’imposer à nous si nous en croyons les feuilles de route Planification écologique du Système de Santé du gouvernement et Santé-Environnement de la HAS parues l’an dernier et qui annoncent une transformation de notre système de santé publique. Les coûts environnementaux pourraient demain être intégrés dans l’évaluation médico-économique de dispositifs médicaux.

Si nous ne voulons pas subir la transformation écologique, il nous faut accompagner le changement. L’arrivée d’une REP touchant aux lunettes peut ainsi effrayer mais, s’il faudra veiller à ce que son application tienne compte des spécificités de notre métier, elle peut aussi créer des opportunités et valoriser les plus vertueux.

Les autres grands chantiers sont connus : décarbonation des productions, réduction de l’utilisation des matières premières, limitation des déchets, relocalisations des industries, adaptation des exercices… nous pensons qu’il est possible d’apporter des réponses qui tiennent compte de nos enjeux économiques, surtout si nous sommes correctement accompagnés par les pouvoirs publics. Valorisons l’Origine France Garantie par exemple.

Enfin, je n’oublie pas le sujet, mineur pour ses impacts mais emblématique de ce tournant à prendre, du reconditionnement des montures. Après l’affichage d’une certaine volonté politique, le dossier semble prendre du retard et, dans l’attente, il n’est toujours pas possible de proposer une offre responsable d’optique médicale reconditionnée. Nous espérons que ce temps pris sera au moins l’occasion pour nos interlocuteurs d’avoir entendu notre interpellation : si la sécurité sanitaire est indispensable, tenir compte des impacts environnementaux du reconditionnement l’est aussi.