Si la position du syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof) sur la télémédecine était déjà en partie connue, nous avons souhaité la reclarifier en ce début d'année 2025 puisque le marché de la télémédecine se développe rapidement, beaucoup plus rapidement que le cadre réglementaire.
Parallèlement, nous avons proposé à 3 syndicats d'opticiens leur position quant à la téléconsultation et la téléexpertise, deux pratiques qui se développent fortement en France ces dernières années, non sans soulever des débats sur les modèles les plus appropriés à la fois sur la plan financier, légal, et de la pertinence dans l'accès aux soins visuels.
Vincent Dedes, président du Snof, a répondu à nos questions (voir vidéo ci-dessus)
Acuité : Quelle est la position du Snof sur la téléconsultation en ophtalmologie ?
Vincent Dedes : « La téléconsultation aujourd'hui est extrêmement bien cadrée puisqu'on a maintenant deux référentiels de la HAS (Haute Autorité de Santé), on a celui du Conseil de l'Ordre, également celui de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie. Donc si on veut parler de la téléconsultation par exemple dans les magasins d'optique, aujourd'hui elle est légale, à partir du moment où on respecte l'ensemble de ces règles et de l'agrément de ces sociétés de téléconsultation. Elle peut être une solution intéressante parce que l'association des trois professionnels, ophthalmologistes, orthoptistes et opticiens, permet un maillage du territoire qui est tout à fait intéressant. Donc cela peut tout à fait être utile pour apporter une solution au plus proche des patients. Nous sommes très attaché à ce qu'on appelle la continuité, la territorialité des soins. Pour cela, la solution de téléconsultation doit respecter les règles, c'est-à-dire qu'elle doit être dans le cadre du parcours de soins et d'alternance entre une consultation présentielle et une consultation distancielle ».
Acuité : Le modèle économique de la téléconsultation, qui engage fortement financièrement les opticiens, est-il idéal ?
Vincent Dedes : « Il est vrai qu'aujourd'hui, c'est un problème pour les opticiens comme pour les ophthalmologistes, le matériel d'examen est extrêmement cher. C'est sûr qu'aujourd'hui, on a un modèle économique qui n'est pas idéal. Il faut réfléchir comment l'améliorer, à voir avec la Caisse, on rejoint les opticiens sur le fait qu'une consultation simple d'ophtalmologie nécessite beaucoup de matériel et qu'il y a peut-être une discordance entre le tarif de la consultation de base et le tarif d'une consultation technique qu'on peut voir en ophtalmologie, mais c'est également vrai en présentiel ».
Vincent Dedes, président du syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof)
Acuité : Est-ce que la téléconsultation libère du temps médical ?
Vincent Dedes : « Je pense qu'en termes de temps consacré par patient, on est probablement plus efficace dans le présentiel puisqu'on a sur le même lieu d'exercice tous les professionnels de santé, la prise en charge est plus efficace et optimisée, dès lors qu'on a recours au travail aidé, ce qui est le cas dans la grande majorité des cabinets ».
Acuité : Quelle est la position du Snof sur la téléexpertise ?
Vincent Dedes : « Les téléexpertises en optique aujourd'hui, c'est un sujet un petit peu compliqué, puisqu'en fait, comme chacun sait, ni les opticiens ni les orthoptistes ne peuvent participer aux téléexpertises, ou en tout cas ils ne peuvent pas facturer cet acte parce qu'il y a un regard un petit peu particulier de la Caisse sur ces actes.
On voit fleurir aujourd'hui beaucoup d'offres de téléexpertise dans les magasins d'optique qui posent énormément de questions, que ce soit juridiques ou conventionnelles. Ce qu'on voit fleurir, c'est des solutions où finalement on a un envoi d'ordonnance de la part d'un médecin sur aucun examen médical, puisque les opticiens ne peuvent pas réaliser des examens médicaux. Pourtant, une ordonnance, c'est une conclusion d'un examen clinique. Si on n'a pas d'examen clinique suffisant, c'est difficile de conclure que ce patient a besoin ou non d'une ordonnance. Ça, c'est le premier sujet.
Le deuxième sujet, c'est que la définition de la téléexpertise, c'est "je fournis un avis à un autre professionnel de santé". Et c'est le professionnel de santé, donc celui qu'on appelle le requérant, qui va pouvoir fournir ou non l'ordonnance, s'il a les compétences de le faire. Mais aujourd'hui, le médecin requis ne peut fournir finalement qu'un avis ».
Acuité : En aucun cas, le médecin requis ne peut fournir lui-même une ordonnance ?
Vincent Dedes : « Aujourd'hui, la législation n'est pas claire. Mais la réponse, en tout cas de la Caisse aujourd'hui, c'est non. La téléexpertise n'est pas faite pour ça. On a plusieurs arguments en ophtalmologie pour dire que de toute façon, on ne peut pas le faire.
On a maintenant le référentiel du CNPO, le Conseil National Professionnel d'Ophthalmologie, et c'est un référentiel qui est tout à fait opposable, puisque l'avenant 9 de la télémédecine rappelle bien que les référentiels opposables peuvent être écrits soit par le CNP, soit par la HAS. Donc il vient rappeler quels sont les examens minimums, quels sont les critères pour le patient, pour pouvoir fournir une ordonnance. Aujourd'hui, les ophtalmologistes qui fournissent une ordonnance en recopiant simplement des chiffres de réfraction se mettent en difficulté par rapport à ce référentiel et par rapport aux règles conventionnelles ».
Acuité : Qu'est-ce que vous pensez de l'idée d'autoriser les opticiens à réaliser un certain nombre d'examens complémentaires, au-delà d'une réfraction, comme la pression intraoculaire ou un fond d'oeil, de prendre ces mesures pour les envoyer à un ophtalmologiste pour interprétation ?
Vincent Dedes : « Je comprends cette demande de la part des opticiens. Cependant, on a eu très récemment une décision judiciaire de la Cour de cassation qui vient de dire clairement que la prise de tension, la rétinophoto et la vidéotopographie sont des exercices de la médecine et qu'aujourd'hui, les opticiens n'ont ni la formation, ni les compétences pour le faire. Aujourd'hui, des morceaux d'examens ne permettent pas de sécuriser le parcours du patient. Avec la multiplication de ces sociétés qui offrent ce genre de choses, on a d'abord besoin de déclarer, de faire de la pédagogie auprès des patients, de faire de la pédagogie aux professionnels de santé avant d'avancer sur autre chose ».
Acuité : Aujourd'hui, c'est interdit, mais est-ce que c'est une idée sur laquelle il faut réfléchir ?
Vincent Dedes : « Aujourd'hui, l'interdiction est judiciaire. Faire changer la loi, c'est quelque chose de compliqué. On échange avec les représentants des opticiens sur différents sujets. Actuellement, le sujet le plus important pour nous, c'est d'améliorer la communication entre les différents professionnels. On a déjà les orthoptistes, on a déjà les opticiens, on a les ophtalmologistes qui sont présents. Je ne suis pas sûr de la pertinence de ce genre de choses tant qu'on n'a pas réussi à cadrer la filière de façon très claire ».