"Nous ne savons pas combien d'opticiens sont dans cette situation, peut-être des centaines", estime Me Jean-François Ségard après le jugement rendu par la Cour d'appel de Versailles. Dans un arrêt du 21 janvier dernier, celle-ci a donné raison à huit d'entre eux dans une affaire les opposant à Jidéa, société spécialisée dans "l'affichage et la diffusion d'annonces publicitaires ou informatives en magasin".
En 2005, Jidéa propose aux opticiens un service "clé en main" d'affichage dynamique en vitrine. La location bail d'une durée de 5 ans comprend, contre une mensualité de 100 à 400 euros, l'installation du matériel vidéo et la mise à disposition de contenus. Jidéa va jusqu'à promettre de futures rentrées d'argent grâce à la vente de messages publicitaires. Rien à attendre de ce côté et le pire est à venir.
Des écrans désespérément vides
Car l'arnaque est logée dans le montage financier. Les opticiens signent un bon de commande avec les représentants de Jidéa et reçoivent en retour un contrat les liant à une société de crédit, GE Capital Equipement Finance. "Jidéa facture au prix fort le matériel vidéo, encaisse le montant du crédit avant d'être placée en liquidation quelques mois après, nous explique Me Ségard, avocat des plaignants. Les opticiens se retrouvent alors dans l'obligation de s'acquitter des mensualités sans aucune contrepartie". En 2007, une nouvelle société, CyberVitrine, se propose même de reprendre l'exploitation du matériel moyennant un loyer supplémentaire de 149 euros. Avant de disparaître à son tour quelques mois après.
Plusieurs procédures sont menées devant les tribunaux de commerce, qui déboutent les opticiens au motif que le crédit bail et la prestation de services sont indépendants. La défaillance de Jidéa ne les dispense pas du versement des loyers. L'affaire rebondit devant la Cour d'appel de Versailles qui donne cette fois raison aux plaignants : les juges ont argué de l'indivisibilité des contrats de crédit et de service. "En clair, si l'un est rompu, l'autre devient caduc", résume Me Ségard. GE Capital est condamnée à rembourser les loyers versés depuis la cessation d'activité de Jidéa en juillet 2006. Ainsi qu'à reprendre le matériel vidéo en magasin.
Un jugement qui en appelle d'autres
"La cour d'appel de Paris doit se prononcer prochainement sur une affaire similaire, souligne Me Ségard, qui défend par ailleurs les intérêts d'Alliance Optique. Si le jugement de Versailles est confirmé, et rien ne laisse présager du contraire, ce sera un coup dur pour les sociétés de crédit incriminées. Avec 20.000 à 40.000 euros par client, les dommages se compteront en millions. Car il y a sans doute des centaines d'opticiens qui paient encore sans savoir". Et que l'avocat invite à entamer une procédure, y compris collectivement. "Le nombre fait le poids devant une Cour d'appel".
Une affaire au long cours qui n'est pas sans leçon. "Le problème soulevé par ce dossier n'est pas celui de la nature du service mais de son mode de financement. Comme toujours pour ces prestations : bien lire les contrats et exiger des garanties écrites du cocontractant", conclut Me Ségard.
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