Après la mobilisation avec la pétition de Jean-Philippe Guilbert, lancée il y a une quinzaine de jours pour protester contre le « déremboursement déguisé des équipements optiques », les fabricants et les distributeurs continuent d'exprimer massivement leurs craintes à l'encontre du prochain décret gouvernemental visant à plafonner les remboursements. Cette décision pourrait être fatale au secteur de l'optique en France et à ses milliers de salariés. « La France va casser une filière industrielle de pointe qui emploie 10 500 personnes en France sur 77 sites », a ainsi lancé Paul du Saillant, directeur général adjoint d'Essilor. Un avis partagé par Philippe Lafont, créateur de lunettes qui déclarait : « En France, j'emploie soixante personnes. D'ici un an, je risque de devoir envoyer quarante lettres de licenciement ». Aujourd'hui, ses lunettes fabriquées en France sont vendues à un prix de 150 à 200 euros, bien au dessus du montant du plafond de remboursement des OCAM, qui serait fixé à 100 euros. Ces pertes d'emplois ont des conséquences sur son sous-traitant, Thierry S.A. « Sous cinq ans, c'est une casse sociale terrible qui se profile. Je ne suis pas sûr que nous n'y laisserons pas notre peau », déplore Joël Thierry, PDG de la société. Alors que les deux tiers de ses clients sont des créateurs français, le sous-traitant craint aujourd'hui pour l'emploi de ses 140 salariés. 

Une inquiétude reprise par Didier Papaz, président-directeur général du groupe Optic 2000 : « Si on perd notre savoir faire, si un des acteurs de la filière tombe, c'est fini ! ». Cette baisse forcée des prix a aussi du mal à passer pour Jérôme Colin, directeur général d'Oxibis qui assimile la situation des opticiens à celle des producteurs de lait « quand la grande distribution leur a mis le couteau sous la gorge pour faire baisser les prix ». Pour cette entreprise de 125 salariés, le plafond de 100 euros l'obligerait à faire baisser ses prix de 50%. Avec une baisse des remboursements, les Français vont se tourner vers des produits moins chers, le plus souvent confectionnés en Asie où le coût du travail est plus bas qu'en France. Une situation que regrette Didier Papaz, qui a mené une stratégie de relocalisation en France en passant de 15 à 21% d'achat de montures françaises en 4 ans. « C'est notre responsabilité de distributeur que de donner de l'emploi aux Français, a-t-il tenu à préciser. Aujourd'hui, on a beaucoup de difficultés à faire fabriquer une monture optique pour un prix public de 100 euros en France. Il faut minimum 150 euros », indique Didier Papaz. Même son de cloche du côté de Philippe Peyrard, directeur général délégué d'Atol, pour qui une baisse des coûts semble également impossible à réaliser : « En 2008, nous avons lancé une collection haut de gamme à 220 euros. Grâce à l'amélioration de la productivité et à des procédés industriels, nous avons ramené les prix à 169 euros. Nous aurons du mal à compresser plus ». 

Ce décret est jugé inutile par certains, comme Didier Papaz qui estime que « le gouvernement n'avait pas besoin de plafonner le remboursement des complémentaires santé. L'optique est déjà régulée par les réseaux de soins, ça suffit et ça fonctionne ».
Les fabricants et les distributeurs espèrent bien attirer l'attention du gouvernement sur les conséquences de ce décret sur l'industrie de l'optique française, notamment celle d'Arnaud Montebourg, ministre de l'économie et partisan du « made in France ». « C'est catastrophique de voir un pays à la pointe de l'optique créer de la destruction de l'innovation et de la désindustrialisation, a rajouté Paul du Saillant. Il faut que toutes les parties se mettent autour de la table avec le gouvernement pour chercher des solutions ». 

Extraits d'interviews du Monde, de BFM et du Parisien.