Un amendement déposé au Sénat en février visant à élargir le champ d’action des opticiens a suscité votre intérêt et celui des syndicats d’opticiens* qui partagent dans cet article leur opinion sur le sujet. L'objet de l'amendement était de permettre aux opticiens de réaliser des prises de mesures dans le cadre de dépistages et de prévention dans les déserts médicaux les plus critiques afin de transmettre les résultats aux ophtalmologistes du territoire.

Vous pouvez retrouver l'intégralité de l'amendement ici ainsi que les explications de la sénatrice Else Joseph. 

Et bien que l’amendement n’ait pas été recevable, le projet a de grandes chances de refaire surface dans les mois qui viennent dans le cadre de propositions de lois ou du PLFSS 2024.

 

Recréer du lien entre ophtalmologistes et opticiens

photo_h._verdier-davioud.jpegPour Hugues Verdier-Davioud, président de la Fnof, « cet amendement est "un non sens". Il est tombé à l’eau parce qu’il n’a pas été suffisamment préparé et que dans le cadre législatif où il a été présenté il n’est pas possible d’impliquer de nouvelles dépenses budgétaires, sans les équilibrer par ailleurs. Et qui dit dépenses supplémentaires, dit aussi économies équivalentes ? Où, qui, comment ?

L’amendement suggérait l’établissement d’une liste de matériel autorisé aux opticiens mais cela est inutile : il n’y a pas de matériel qui nous est interdit. Ce qui reste interdit aux opticiens, c’est d’établir un diagnostic sur la base de l’utilisation de ce matériel.

Ce n’est pas comme cela que les liens entre opticiens et ophtalmologistes vont être retissés. Il faut recréer du lien et de la communication transversale entre les différents professionnels de santé, notamment ophtalmologiste et opticiens, rétablir la confiance et le respect des compétences de chacun.

Par ailleurs, l’amendement prévoyait une phase de tests dans certains départements seulement, alors que l’ensemble du territoire est concerné par la problématique des déserts médicaux ».

 

Répondre à une réalité du terrain

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Yannick Dyant, président de l’Association des Optométristes de France, se dit favorable à cette initiative législative : « elle répond à une réalité du terrain qui consiste à reconnaitre les compétences des opticiens pour améliorer l’accès aux soins visuels dans les zones sous-dotées. Le principe serait de créer un partenariat amélioré entre opticiens et ophtalmologistes pour le dépistage et la prévention, sans avoir pour vocation de générer une hausse du nombre d’ordonnances. Ces dispositions ont très bien fonctionné avec les orthoptistes, on peut réfléchir à l’étendre aux opticiens ce qui leur donnerait davantage de responsabilités en direction du statut de professionnel de santé.

Les opticiens peuvent utiliser tous les appareils qui permettent la réfraction tant que c’est justifié pour une adaptation de prescription. Cependant, aucune liste détaillée du matériel n’existe en tant que telle, et il serait logique de l’établir une bonne fois pour toute ».

 

Élargir le protocole Muraine aux opticiens

corfias_stephane_-_president_du_rof.jpegCe point de vue est partagé par le président du Rof Stéphane Corfias : « Cet amendement était inspiré d’une proposition du rapport publié en 2020 par l’Igas et l’Igesr, rapport hélas un peu oublié en raison certainement de la crise sanitaire. Ces inspections relevaient l’importance des déserts en santé visuelle, soulignaient la faiblesse des coopérations entre professionnels de santé existant dans la filière visuelle, et proposaient d’aller plus loin avec la recommandation très ambitieuse d’un protocole organisationnel pour l’ensemble de cette filière. L’amendement que la sénatrice Else Joseph a bien voulu porter après avoir échangé avec le Rof visait à ouvrir la possibilité de protocoles de coopération associant les opticiens, un peu sur le modèle de ce qui existe aujourd’hui pour les orthoptistes avec le protocole Muraine.

Alors que les déserts médicaux sont une réalité que plus personne ne conteste, il nous semble dommage de ne pas permettre aux 43 000 opticiens présents sur les territoires de jouer leur part dans la résorption de ces zones tendues. En effet, l’obtention d’un diplôme d’opticien suppose la maîtrise d’un certain nombre d’appareils de prise de mesure à des fins d’exploration fonctionnelle, et les appareils dont sont aujourd’hui équipés la plupart des centres optiques pour réaliser l’adaptation de prescription, fournissent un ensemble de données d’exploration fonctionnelle qui vont bien au-delà de la réfraction. L’idée n’est donc pas d’empiéter sur le travail de diagnostic qui ne peut être posé que par l’ophtalmologiste, mais plutôt de trouver avec lui une articulation qui permette le dépistage des troubles visuels et ainsi l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux ».

 

*Le Synom a également été sollicité mais n'a pas souhaité s'exprimer sur ce sujet.